Les billets d’architecture de Donatienne : #8. Il fut un temps où l’on déplaçait nos édifices

Il fut un temps où l’on déplaçait nos édifices

C’est dans le contexte de la « Bruxellisation », ce bouleversement urbanistique de l’après ’58 du tout à la modernité, qu’est apparu dans notre capitale le façadisme. Cette pratique, qui consiste à conserver des façades d’hôtels de maître en les incorporant dans de nouvelles constructions, fut une façon stratégique de répondre aux défenseurs du patrimoine tout en satisfaisant aux exigences du développement urbanistique et de la promotion immobilière. Cet artifice trouve cependant par le passé quelques reliquats, qui pour échapper à la démolition, ont été démontés et replacés ailleurs et que l’on aurait presque tendance à oublier.

Ainsi l’élégante façade baroque, qui achève la perspective de la rue du Bailli à Ixelles, a été intégrée à l’église de la Sainte-Trinité lors de sa construction à la fin du XIXe. À l’origine, elle faisait partie de l’ancienne église et du couvent des Augustins, rue Fossé aux Loups, dont les plans avaient été dressés à la demande des frères entre 1615 et 1640 par le talentueux architecte J. Franquart. Fermé en 1796 par les troupes révolutionnaires, le couvent fut rapidement démoli. L’église connut par contre bien des affectations – hôpital au cours de la bataille de Waterloo, temple protestant à l’époque hollandaise, salle de concert et d’exposition après l’indépendance de la Belgique, puis bureau central des postes et télégraphies– jusqu’au jour où elle devint un obstacle à l’aménagement de la place de Brouckère. En 1893 alors que sa démolition avait déjà débuté, l’État, propriétaire du monument, prit la décision, malgré la réticence de la Commission royale des monuments, de préserver sa façade en la démantelant et de l’offrir gracieusement à la fabrique de la Trinité. Toutes les pierres furent soigneusement numérotées avant d’être transportées rue du Bailli où le frontispice baroque allait servir d’écran à la nouvelle église que l’architecte J.J. Van Ysendyck était occupé à bâtir.

D’autres édifices religieux connurent le même sort comme la chapelle Sainte-Anne, jadis rue de la Montagne, dont le portail fut accolé à la façade latérale de l’église de la Madeleine, restaurée ou quasi reconstruite lors de l’agencement du carrefour de l’Europe à l’approche de l’Expo 58. Le cas de la chapelle Salazar de style néo-classique et de son aile voisine néo-gothique, démolies en 1955 pour faire place aux galeries Ravenstein, est un peu différent. Expropriées en 1907, les bonnes sœurs qui occupaient alors les lieux firent construire une réplique rue Van Maerlant, en face du parc Léopold au cœur de l’actuel quartier européen, ce qui fit coexister durant près d’un demi-siècle deux édifices quasi identiques.

Parmi les autres exemples de réédification, il y a celui de cette étroite maison toute proche de la Grand-Place, située à l’angle de la rue au Beurre et de la Petite rue au Beurre et adossée depuis 1929 à l’église Saint-Nicolas. Sa façade baroque et colorée, à laquelle  volutes, cartouches, balustres et lucarnes apportent un charme indéniable, était autrefois celle de maison « Goude Huyve », située au 13 rue de l’Étuve et reconstruite après le bombardement de Bruxelles de 1695. Lorsque F. Malfait, architecte de la ville, dût s’atteler à sa transplantation, cela ne se fit pas sans quelques ajustements, dont la suppression d’une de ses quatre travées. Se souvient-on également que les deux pavillons néo-classiques à l’entrée du bois de La Cambre, avaient été édifiés en 1835 Porte de Namur par A. Payen afin d’y percevoir l’octroi et déplacés après la suppression de cette taxe en 1860 ?

Citons encore la ravissante serre que conçut A. Balat en 1853 pour abriter le nénuphar géant, Victoria Regia, venu d’Amazonie dans l’ancien Jardin zoologique installé au parc Léopold, transférée une première fois au Jardin Botanique de Bruxelles, avant de rejoindre définitivement celui de Meise. Quant aux démontages des façades de la Maison du Peuple et de l’hôtel Aubecq de Victor Horta dont les éléments ont été dispersés, voire en partie détruits, leur remontage est hypothétique. Si la démarche est apparue autrefois comme louable, ne conserver qu’un fragment de tels chef-d ’œuvres, dépossédés des valeurs intrinsèques qui en émanent, semble relever plus de nostalgie que de préservation de notre patrimoine. En revanche, une restitution en 3D de la Maison du peuple, visible sur hortamuseum.be, permet de s’y promener, une alternative qui montre que désormais la protection du patrimoine passe aussi par l’innovation.

Donatienne de Sejournet

Historienne de l’art et journaliste du patrimoine et de jardins

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